Jean-Clarence Lambert

Jean Filhos n’est pas un sculpteur comme on l’a entendu jusqu’ici C’est plutôt une sorte d’ingénieur-architecte des formes – et ses œuvres ne ressemblent en rien à ce que l’on a pris l’habitude de regarder dans les galeries ou les musées. Elles échappent à toute description. Ce sont des proliférations de formes, dont la répétition sérielle donne cette même impression de nécessité - voire de fatalité – qui apparaît lorsqu’on détaille un organisme vivant, ou que l’on considère au microscope une structure moléculaire : peut-être des « créations » auxquelles la « Création » n’avait pas encore pensé, des « choses » que la « Cause » universelle avait jusqu’alors réservées… Oui, nous sommes dans le « vrai organisme vivant », car au cours de leur croissance, les œuvres de Filhos ont en effet perdu leur aspect mathématique natif (ce qui les distingue nettement des sculptures d’un Pevsner, par exemple).
Comme toute œuvre décidément baroque, celle de Filhos exige un processus d’approche particulier. L’architecte Luigi Moretti l’a sans doute formulé quand il a parlé récemment de « lecture musicale des œuvres complexes, à consommation lente ». Le consommateur doit alors « s’immerger lentement puis avec violence » : les structures baroques, en effet, tendent à l’explosion. C’est d’ailleurs pourquoi la référence le plus souvent invoquée à leur égard est la topologie, cette récente théorie des ensembles en transformation continue, et qui remet en question tant de problèmes admis jusqu’ici comme résolus. […]
De la coque en polyester à la sculpture achevée, polie et revêtue de vernis éclatants et précieux comme des laques japonaises, le processus d’élaboration n’a rien d’obscur.
Les coques originelles sont montées sur une surface de treillis métallique. Forme ouverte opposée à forme fermée, c’est une lutte de deux éléments : ils se commandent l’un l’autre, dans un développement continu. La structure trouve ainsi sa forme propre – une vie cellulaire – et c’est elle, dès lors, qui guide la main. Si l’informel était un recours à l’imagination de la matière, sans doute convient-il ici de parler d’imagination de la forme. […]
Que l’on pense à l’élan extatique de la Sainte Thérèse du Bernin : les plis du marbre définissent un illimité sans repos qui n’est autre que « l’espace en transformation continue »…Les grands reliefs de Filhos, de même, par-delà les flux et reflux romantiques, tendent à un semblable symphonisme.

(extraits de Jean Filhos, l’imagination de la forme, in Opus international 2/67)

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